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Créolisation et politique: le cas de Trinité-et-Tobago

   

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La construction d’une identité collective fait partie des prérogatives des partis politiques et mouvements indépendantistes-nationalistes aux Antilles en situation postcoloniale.

Ce fut notamment le cas pour Trinité-et-Tobago cherchant à faire émerger une identité collective distincte de son colonisateur (Grande-Bretagne) pour un projet politique et sociétal propre à la nation insulaire trinidadienne. Cependant, la créolisation – concept littéraire – et sa transposition vers le politique par les acteurs politiques ne réussit pas. Pourquoi ?

Défini par des penseurs tels qu’Edward Brathwaite (écrivain d’origine barbadienne) ou encore Édouard Glissant (écrivain d’origine martiniquaise), la créolisation est perçue comme une forme d’hybridation culturelle ou acculturation ayant pour but une unification des peuples (et ce, quelle que soit l’origine ethnique). Similaire à l’identité-rhizome de Deleuze et Guattari, la créolisation est a-centré où la dispersion, le métissage des peuples, des idées ou encore des cultures se manifeste. Ainsi, la créolisation est une identité multiple sans frontière mélangeant les racines européennes, africaines, indiennes et autres : c’est la création d’une nouvelle et unique culture.

À partir de 1946, le PNM (People’s National Movement), parti libéral à tendance nationaliste fondé par Éric Williams (image ci-dessous), Premier ministre trinidadien de 1961 à 1981, a pour objectif d’établir des transformations radicales tant au niveau social, politique, économique que culturel.

Cherchant à unifier les Afros et les Indo-Trinidadien.ne.s où des tensions raciales et religieuses sont fortement présentes, le concept de créolisation est choisi. Représentant la bourgeoisie de la société trinidadienne et représentant les Afros-trinidadien.ne.s, majorité ethnique (à T&T, l’Afro-trinidadien.ne. est considéré comme un créole contrairement aux Antilles françaises), le concept est perçu par les Indos-Trinidadien.ne.s (minorité ethnique) comme une menace. En effet, la communauté indienne redoute, par la politisation de la créolisation, une inclusion forcée dans le processus d’unification craignant l’assimilation et ainsi la perte de leur identité et culture.

C’est en vain que le PNM tentera de construire une identité collective trinidadienne basée sur la créolisation. Après des années de lutte de la communauté indienne, cette dernière obtiendra gain de cause : la créolisation est remplacée par le multiculturalisme où le vivre ensemble entre une pluralité des communautés est privilégiée. En cherchant une reconnaissance de leur culture et identité, cette volonté d’établir une politique multiculturelle empêche l’émergence d’une politique assimilationniste pratiquant à la fois une forme d’inclusion (en faveur des Afro-Trinidadien.ne.s – majorité ethnique) et d’exclusion (Indo-Trinidadien.ne.s. – minorité ethnique).

La construction d’une identité collective dans société caribéenne postcoloniale est nécessaire dans le processus de création d’un État-nation comme ce fut le cas pour Trinité-et-Tobago. Pour certains entrepreneurs ethniques et nationalistes, la créolisation (parmi les nombreux concepts et notions définissant l’identité caribéenne) est la traduction d’une unification culturelle dépassant les clivages religieux, ethniques et identitaires. Or, pour les minorités ethniques et groupes nationales radicaux, elle est similaire à un discours d’exclusion et/ou d’aliénation. Mélangeant métissage et complexité, ce concept inscrit dans le domaine anthropologique, culturel et littéraire ne réussit pas son passage vers le politique.

En Guadeloupe, la situation est beaucoup plus complexe où l’identité guadeloupéenne peine à se définir prise entre la francité, la créolisation, la Négritude ou encore l’Africentricité.

Bibliographie (non exhaustive)

Brathwaite, Kamau. The Development of Creole Society in Jamaica, 1770-1820. Ian Randle, 1971.

Delle, James A. « The Material and Cognitive Dimensions of Creolization in Nineteenth- Century Jamaica ». Historical Archaeology 34, no 3 (2000): 56-72.

Garcià Muniz, Humberto. « The Colonial persuasion: Puerto Rico and the Dutch and French Antilles ». Dans The Caribbean : A History of the region and its people, The University of Chicago Press. Chicago and London, 2011.

Oxaal, Ivar. Black Intellectuals Come to Power. Cambridge. Massachusetts, 1968.

Rempersad, Indira. « Multiculturalism and the challenge of managing diversity in Trinidad and Tobago ». Journal of Social Science 2, no 1 (2014): 127-49.

Ryan, Selwyn D. Race and nationalism in Trinidad and Tobago: A study of decolonization in a multicultural society. Toronto and Buffalo: Canada: University of Toronto Press, 1972.

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